« Malade »

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« Malade »

 

« Crohn et RCH sont des maladies taboues. En parler, c’est déjà les combattre. » Voilà ce qui me pousse à écrire mon histoire ici.

 

J’ai 22 ans, et on m’a découvert une maladie inflammatoire chronique de l’intestin il y a quelques mois, bien qu’elle soit présente depuis beaucoup plus longtemps dans ma vie : la rectocolite hémorragique, quel nom glamour. En gros, mon système immunitaire est défaillant, il pense que mon colon est un intrus et l’attaque donc à coup d’ulcères (pas bien malin ce système immunitaire). C’est une maladie auto-immune, qui ne se guérit pas. Ensemble pour la vie.

Les symptômes de cette maladie sont tout aussi glamours que son nom : diarrhées sanglantes jusqu’à 20 fois par jour, impossibilité de se retenir, douleurs articulaires, brulures au niveau des yeux, fatigue extrême, douleurs à la colonne vertébrale…Tous ces symptômes font de cette maladie un sujet tabou, on n’a pas vraiment envie d’étaler nos problèmes de transit à nos amis, proches ou non. C’est surement à cause de ça que très peu de gens connaissent la RCH. Moi-même, je n’en avais jamais entendu parler. C’est d’ailleurs pour ça que quelques jours après le diagnostic, j’ai expliqué à mes amis que j’avais une maladie, mais que je n’allais pas mourir, donc rien de grave pour moi. J’ai pris ça totalement à la légère, je ne m’en rendais pas du tout compte des conséquences et de l’avenir.

 

C’est en fouinant sur internet, en parlant à mon médecin, à d’autres malades, que j’ai vraiment réalisé. Le premier traitement donné est la cortisone (j’y reviendrai plus tard), mais quand celle-ci ne marche plus, on attaque des traitements beaucoup plus lourds, qui sont des minis chimiothérapies. Et si cela échoue aussi, c’est l’opération… On retire le colon et on le remplace par une poche « cousue » sur le ventre. Totale féminité. Après 10 ans de maladie, on a 30 fois plus de risque d’avoir un cancer du colon, et un cas sur deux développe une spondylarthrite ankylosante (maladie inflammatoire de la colonne vertébrale). Bref, après toutes ces bonnes nouvelles, ça allait nettement moins bien dans ma tête. Il fallait assimiler et assumer que j’étais « malade » (encore aujourd’hui j’ai du mal avec ce mot) et à vie, et je me suis sentie tellement seule dans cette épreuve… C’est simple, je ne pensai plus qu’à ça, 24h/24. Je passai des heures entières à lire et relire des témoignages sur les forums, à discuter avec d’autres Miciens. Moi qui était toujours partante pour faire la fête, sortir, je ne faisais plus rien, j’étais tellement fatiguée, une fatigue bien particulière. Chaque effort qui était banal avant est maintenant une vraie épreuve. Forcément, les amis s’éloignent. Quand on t’appelle 3, 4 fois et que tu refuses, forcément on ne t’appelle plus. J’en ai vraiment souffert, mais comment leur dire que ça ne va pas du tout, que j’ai besoin d’eux, alors qu’il y a à peine quelques semaines je leur ai dit que je n’avais rien de grave, de ne pas s’inquiéter ? C’est une maladie qui n’a pas de signes extérieurs, donc si on se tait, ça ne se voit pas.

 

De plus, j’ai très vite compris que les gens qui ne le vivent pas ne peuvent pas comprendre, ça en faisait même rire certains. Et oui, pipi-caca ça fait rire à n’importe quel âge apparemment. Mais j’aimerai bien les voir moi, ces gens là, à 21 ans passer à la caisse du supermarché avec des couches pour grand-mère, se faire dessus parce qu’on n’a pas le temps d’arriver jusqu’aux toilettes, se lever 10 à 15 fois par nuits pour se vider de sang, faire de l’arthrose à 22 ans, être obligée de se relever trèèèès doucement en se tenant le dos, comme les vieux, passer des nuits blanches parce que j’ai l’impression d’avoir des poignards plantés dans les genoux… Pour rajouter à tout ça, j’étais sous cortisone, malgré le régime sans sel, j’ai pris 7 kilos en à peine 2 mois, concentré dans le ventre, le cou et le visage. J’étais méconnaissable, je ressemblais littéralement à un hamster qui aurait fait un combat de boxe. Pour moi qui suis très très coquette, c’était tout bonnement horrible. Les gens que je n’avais pas vus depuis longtemps me dévisageaient, se demandant ce qui m’était arrivé. Au boulot, tout le monde a bien compris que quelque chose clochait, j’entendais dans les couloirs que certains pensaient que j’avais fais une allergie, que je m’étais faite piquée… Je me suis sentie obligée de me justifier, pour arrêter ces commérages. Le pire pour moi a été un week-end où je suis parti dans ma ville natale, revoir mes amis d’enfance. Ceux qui n’étaient pas au courant de la maladie ne m’ont même pas adressé la parole, ils étaient surement mal à l’aise, ils n’osaient même pas me regarder. J’avais les larmes aux yeux à chaque fois que je voyais une photo de moi. C’est très dur de voir son corps changer autant en si peu de temps, sans rien contrôler.

 

Le contrôle justement, j’ai perdu le contrôle de mon corps. Je suis maintenant obligé de faire en fonction de lui, de sa fatigue, je ne peux plus manger ou boire ce que je veux, je peux annuler des sorties au dernier moment, je n’ai aucune idée de comment ira ma santé dans 6 mois, 1 an, 10 ans… Mais je veux absolument rester positive, je ne veux pas m’interdire des choses à cause de la RCH, malgré que parfois ce soit obligatoire. Heureusement j’ai quand même quelques rares amies et familles qui ont et sont toujours là pour moi, à leur manière. Ma mère, ma sœur et mes deux meilleures amies, notamment, si elles passent par là, je leur dis un énorme merci. L’association François Aupetit m’a également beaucoup aidé, on se rencontre et on se soutient entre jeunes malades. C’est un peu nos alcooliques anonymes à nous.

C’était très important pour moi d’apporter mon témoignage, déjà pour moi-même, c’est une petite thérapie pour écrire tout ce que je n’ose pas dire ; mais également pour faire connaitre cette maladie au plus grand nombre, qu’enfin elle ne soit plus taboue. Et pour finir, que ce soit dans n’importe quel domaine, c’est souvent les choses qu’on ne voit pas, qu’on ne sait pas, qu’on cache, qui sont les plus douloureuses.

 

B.

 

Une réflexion sur “« Malade »

  1. Un témoignage capital !
    En effet, ces pathologies sont méconnues, non visibles et non visibilisées !.

    Quand j’étais en formation d’aide-soignant, j’ai eu en charge (quelle expression douteuse !) un patient atteint de la maladie de Crohn; sans ce stage et mon implication dans le milieu hospitalier, je n’aurais sûrement jamais eu connaissance de cette maladie.

    Tout ça pour dire que je te soutiens moralement.

    Continue à écrire, l’écriture est vraiment thérapeutique (elle ne guérit pas mais elle soigne).
    Bon courage B. !

    Chriss

    PS: Connais-tu ce site ? http://www.lacrohnique.com/index.php#.U0URbfl_vek

    Et pour ceux qui veulent donner pour la recherche :
    http://www.frm.org/urgence/maladies-rares.html?gclid=CI7V_NeJ070CFefMtAodHnEAGA

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